[Clos] Face à face

Transparence du cœur
La poussière enfin se meurt

Tombe le rideau d’étoiles

Dans un profond ennui
Il se noie dans le chagrin

Les ailes battaient avec légèreté. C’était un doux matin bercé par quelques rayons de soleil un peu curieux. Les papillons lumineux se chamaillaient déjà. Pour eux, il n’y avait pas de place pour la peur, ni l’ennui. Une petite vie qui se devait de donner le sourire à Dame nature. Dans un coin, près du Lac, le poil roulait sur la peau d’un corps encore endormit. C’était un Chasseur de Prime, lourdement avachit sur le sol, une patte sous la joue, l’autre sous le front. Contre lui, en boule, un petit lycaon roupillait. Les journées et les nuits étaient rudes ces temps-ci. Et les ennuis se sentaient au bout de la truffe. Rien d’étonnant quand on se fout de la gueule du monde comme cet animal là… Hybride chacal de pacotille. Regardez-le dormir, nageant dans un bonheur quasi inexistant. Le royaume des rêves se voulait être parsemé de cauchemars.

La crinière jonglait avec le vent. Un mouvement, un frisson, et la patte griffue sous le front se dégageât. Laissée là, molasse, étendue un peu plus loin des oreilles percées. Dors au creux de mes griffes, papillon fragile. Demain tu n’existeras déjà plus. Et la cage de griffes se referma sur les ailes qui battirent soudainement. Surpris, il chercha à s’évader de cette prison qui resserrait lentement les griffes. Bientôt, demain ne serra rien. Demain restera un mot. Une idée, une incertitude. La poussière de ses ailes se déposait contre les coussinets du chacal qui, dans son sommeil profond, s’étira légèrement. L’espoir ce matin-là… naquit dans la cervelle d’un papillon effrayé. Plus encore... un papillon rêveur, voulant être identique à un de ces magnifiques papillons dorés. Nulle cage aurait pu l'enfermer.

Comment pouvait-il dormir ainsi ? Des deux yeux… c’était quasiment improbable de voir la bête dormir si profondément. Mais il fallait avoir vu hier et avant-hier. Avoir vu les jours d’avant. Et entendu les paroles du fou qui cognait dans sa tête. Et il allait bientôt voir son erreur. Voir l’ampleur de sa stupidité. Le sommeil n’était pas fait pour lui. Il avait conçu sa vie de telle sorte qu’il ne pouvait dormir qu’au fin fond du monde, dans le trou le plus paumé possible. Autant s’y faire. Il avait faillit cette nuit-là. Il était dans l’erreur, à contretemps de ses pensées.

Voici une douce cantate. Autrefois sage, désormais fou. Dans ses songes, il ferme les verrous des souvenirs incertains. Imitant le sommeil d’un chat, c’est un canidé qui ronronne. Courbant l’échine, squelette de chair vêtu, la bête désormais brisée par la fatigue enfin s’éveil.

Le papillonnement de ses paupières lui indiqua qu'il sortait du doux pays des songes, poussières de Morphée parsemant ses doigts crispés sur le cadavre fragile d'un morceau d'espoir. La Dame sourit. Assise en tailleur non loin de lui, elle posa un regard sanglant sur l'endormit, silencieuse, discrète, aussi détectable qu'un flocon lent valsant dans un ciel gris perle, l'odeur de froid schuintant de ses pores. Les sentinelles dressées de l'herbe chatouillaient sa peau nue, ses cheveux combattant les brins vert-usé dans un duel sans fondement. Trop longs, ils se répandaient en cascade sur le sol, couverture de fée, tapis de nymphe, oriflamme de maîtresse. Elle soupira.

Son haleine ne laissa pas de runes dans l'air frais de ce matin, ni brume ni brouillard, rien, seulement rendue à elle-même. Juste hors de portée, la dame arborait les cernes typiques des gens en veille, traqué ou traquant, ayant trop de fois manqué le rendez-vous des draps. Mais ce carbone sous ses prunelles donnait à ses orbes rouges un éclat à nulle autre pareille. Et les oiseaux chantant, les notes stridentes de leur cacophonie torturant ses tympans. Sa proie agita ses oreilles.

Percevait-il les battements de son coeur, pourtant ralentit, ou le bruit de sa déglutition ? Elle ne le sut pas. Peut-être ne faisait-il que jouer avec ses réflexes musculaires. Il s'étira, innocent, ignorant, félin et pourtant tellement canin, ses muscles roulant sous sa peau couverte d'un pelage sauvage. L'odeur du sommeil parvint aux narines de la Dame, celui, doux, de l'oubli et de la fragilité, du corps immobile. Elle se força à la patience, l'observant encore et toujours. Le sol, autour d'elle, était à un mètre de distance recouvert d'une couche de givre. Les Sentinelles emprisonnées dans une gangue blanche avaient déjà perdu leur lutte futile.

Elle prit pourtant sa décision, et sa voix aussi claire que le cristal, et tout aussi inflexible que lui, fendit l'air, trancha la trame parfaite de ce matin brillant.

" Bonjour, Maître Traqueur. "

Tout semblait si beau. Un œil externe à cette scène y verrait une douce matinée, un réveil amical. Une routine toute simple. Alors, il imaginerais le chant d'une nature champêtre. Non. Tout simplement non. Un lieu époustouflant, cadre d'un tableau pourtant propice à la guerre. Car c'était un face à face qui allait se produire. La plus grande puissance de la Cité, la loi et la sagesse contre la malhonnêteté et les magouilles qui pullulent dans la Cité. Et le chacal fit un bon en arrière, sortant enfin et totalement de ce sommeil tardive. Effrayant l'amicale compagnie du lycaon. La chaîne du chacal, tenue en bandoulière sur son épaule droite, fit entendre sa voix défensive. Claquant ses anneaux les uns contre les autres. Rubans de ferrailles, toi qui de tes gestes souples assassines ce qui te fait barrage malgré ta vieillesse masquée par ton dernier tour à la forge, toi qui étouffe sans scrupule quiconque passerait entre les mains de ton maître, raisonne donc un peu plus fort, claque ce sol somptueux !

Étonné et surpris, il ne perdit pas de temps pour défaire quelques tours soigneusement fait avec sa chaîne. Elle pendait désormais entre sa patte droite. Qu'avait-elle donc dit ? Le visage de la Cité était là, posté devant lui, regard sanguinaire et attentif. Essayer de cacher son identité ne lui serrait sûrement pas d'une grande utilité. Il pouvait se foutre de la gueule des gens, mais griller sa carte face à cette grande dame _ Grande... politiquement parlent _ serrait sa plus grande erreur. Il courba le dos, inclinant sa tête face au sol. Il n'avait encore jamais croisé son regard d'aussi près. En général elle était loin, entourée des gardiens de la Cité, parfois de Sentinelles aussi et sans compter la foule des habitants de la Cité. Alors en quel honneur se déplaçait-elle jusqu'à lui ? Était-il si important que ça à ses yeux ? Sa présence n'avait rien de normal. Et les salutations présentées semblaient venir le dénoncer. Mais de quoi ? Une autre question arriva dans sa tête assez soudainement. Comment savait-elle ? Dam Ruby ? Apparemment, rien ne lui échappait, signe plutôt positif pour la Cité.

Alors le chacal pris à son tour la Parole, privilégiant encore et toujours son profil droit. Le gauche ne voyait rien d'autre que ce foutu monde Spectral.

" - Salutations... Dame Ruby, je me trompe ? " Qui pouvait se tromper d'ailleurs ?! " Que me vaut cet insolite honneur ?"

Sa voix se faisait presque grave. Calme. Il ne cherchait effectivement pas à se dissimuler, après-tout, il travaillait pour cette Cité, et son anonymat était primordial, pourquoi donc Dame Ruby le divulguerait ? Dans la poche, elle attendait, la pièce menteuse du Chacal. Quel serra le jeu aujourd'hui ? Et leur règles ? Il ne bougeait pas, rock d'air face à de la glace. Il attendait, la chaîne entre les griffes et la tête flottant dans des doutes...

Pandiculation faite, la touffe de poil se redressa vivement au son de sa voix, pourtant aussi douce que mille blizzard. D'où elle se trouvait, la Dame sentait la chaleur de son corps, comme une fournaise. Pourtant, ce feu corporel n'était rien à côté des brasiers stellaires de ses yeux enfiévrés de fatigue. Fallait-il néanmoins la croire faible, à portée de la main, fragile ? Fou qui osait se pendre cette fantaisie. Sa main, colombe d'albâtre, vola lentement, et alla arracher, dans le buisson à portée, une rose à l'éclat bleu, parsemé de goutelette de rosée. Elle porta la fleur à son nez et en huma les effluves sucrées, cristallisant de givre les pétales outremer.

Au loin, la cité était encore endormi, prise dans la couverture duveteuse des brumes matinales. Les cliquetis de la chaîne firent échos à la voix de la Cristalléenne, si bien accordée qu'elle se demanda s'il était possible que le métal soit pétri d'une quelconque magie. Le rideau coulant de ses paupières masquaient partiellement l'éclat sanglant de ses yeux, tandis que concentrée sur son odorat et son ouïe, sa peau, elle, sentait autour d'elle les mouvements de son hôte d'infortune. Il ajusta sa tenue, son animal de compagnie s'approchant d'un pas mal assuré de la jeune femme, flairant du bout de la truffe la trame délicate de sa robe aussi immaculée qu'elle.

Sous ses pâtes, les sentinelles rendaient l'âme. Un sourire tirailla le coin des lèvres de Ruby, et un grondement sourd, étrangement grave, vibra de sa gorge. Le lycaon recula, obéissant à un langage plus ancien encore que toutes les autres langues : celui du dominant. Avec souplesse, la Dame se releva, la rose fermement serrée dans son poing. Elle s'ébroua grossièrement, rendant volume à ses cheveux, les débarrassant des quelques brins d'herbes qui entachaient leur blanc de vert, et ses yeux, à nouveau découvert, se posèrent sur le fruit de sa traque.

" Je viens... " Elle s'accorda, le temps de quelques battements de coeur, le droit de trouver les mots justes, percutants, forts, ceux qui toucheraient leur cible à la perfection. " ... Vous offrir la possibilité de sauver votre vie. "

Le pacte était lancé. Les choses étaient claires. Elle était fatiguée et énervée d'avoir perdu du temps à le chasser, lui, à fouiner aux quatre coins de la cité, tirant ici ficelle, là bout, devant semer piècettes ou coups, pour trouver une personne. Car c'est qu'il n'avait pas été facile à débusquer, le bougre : il avait pris grand soin de masquer ses empreintes, reprendre les sentes, marcher dans ses propres traces, croiser les pistes. Il avait fallut deux nuits et une journée à la Cristalléenne pour le trouver, en y mettant toute son énergie et son attention. Et tout ce temps perdu aurait pu être employé à un sommeil réparateur ou mieux, à la destruction totale des démons.

La tige de la rose glissa entre ses mains, corolle, gynécée et calice se réfugiant dans l'abri illusoire de sa paume. Elle serra, brisa les voiles fragiles : de la poussière glacée bleue s'échappa, profitant d'une brise fortuite, le reste macula sa robe tandis qu'elle s'essuyait négligemment dessus. Ce même vent joua avec le pan de sa vêture, le soulevant, dévoila des pieds nus profondément enfouis dans l'herbe gelée.

" Voulez-vous écouter mon marché, ou pensez-vous le refuser immédiatement auquel cas je ne perdrais pas mon temps et vous tuerais tout de suite ? "

Pourquoi mourir aujourd’hui ? L’idée était-elle de bon goût ? Non, bien sûr que non. Mais pourquoi diable cette question si soudaine ? Comme un gosse abonné aux gaffes qui ne saurait trouver laquelle était l’élue du jour pour qu’on lui inflige une correction, Di cherchait la cause de cette visite. Une visite qui avait comme cadeau... la mort. Rien que ça ! Alors il pris la chose en considération. A deux fois de suite. Mais la réponse était déjà toute faite, il allait écouter sagement le marcher. Il ne s’était pas levé du bon pied après une telle nuit, merci la visite du matin. Il balança sa pièce. Histoire de... la rattrapant sur le dos de la main. La pièce lui indiquait le contraire. Ne rien écouter, refuser tout accord. C’était juste... comme ça, pour voir. La pièce était menteuse, les deux faces étaient les mêmes. Mais au fond de lui, il n’en voulait pas, de ce pacte sûrement foireux. Avant de parler de pacte, pourquoi ne pas dire en quoi il devrait faire ce marcher ? ! Mais il fit profil bas. Chose rare et pourtant. Devant la beauté des gestes de la femme, le chacal devait sûrement avoir un motif qui pesait lourd dans cette décision. Ce blanc et ce bleu, il trouvait ça beau. La cruauté de l’acte et la beauté des débris... c’était en quelque sorte d’une poésie qui ne le laissait pas insensible. Douceur et froideur. Délicatesse et sécheresse. Tout était là avec leur opposé. Splendide. Il toussa, raclant le fond de sa gorge encore sèche de ces rêves sans lendemain. Les yeux pétillaient encore d’une lueur propre au réveil. Tandis que la petite Khyme s’osait à la curiosité, Di fit sa réponse. D’une lenteur calme, d’une voix grave et posée. Chaque mot tournait dans sa tête avant de glisser sur sa langue et de lécher ses lèvres.

" - Pourquoi refuser ? "

Il marqua une pause avant de boucler sa réponse par un autre mot.

" - J’écoute. "

Enervé. Ca ne se voyait pas mais on peut dire qu’il l’était. Il aurait largement préféré un matin doux sans aucun dialogue. Qu’est-ce qu’il pouvait haïr les conversations ! La seule qu’il avait apprécié était celle qui s’était déroulé avec cet ancien Roi des enfers... il commençait d’ailleurs à la languir. Peut-être avait-il était suivit ? Peut-être que la présence de Dame Ruby était liée à cette petite virée nocturne ? Mais ça ne lui semblait pas totalement possible. Il l’aurait remarqué, Iblîs lui même aurait sentit une autre présence. Alors ça venait d’ailleurs. Un coup de gueule contre sa troupe ? En voilà une idée, et si ça venait simplement de ce bout de papier ? Il avait finalement une envie soudaine de rire, mais il garda cette expression pour lui seul. Elle serrait venue comme de la moquerie. Mauvaise idée. L’air se réchauffait autour de lui. Il aimait la fraîcheur, mais pas le froid. Heureux de sa bulle d’aire, il pouvait alors contempler la froideur de Ruby, dans son petit duvet chaudement bercé. La petite à ses pieds vient se blottire contre ses griffes. L’obéissance... ha ! Peu savaient se faire obéir. Elle n’était pas très prête à faire l’amitié partout devant elle, ni à baisser la tête devant quiconque, pas même Di. L’hybride était un ami, pas besoin d’obéir, c’était une toute autre complicité. Mais là, elle avait reculé, sagement, sans brailler contre Dame Ruby, femme d’une blancheur sans défaut. Il en fallait peut pour montrer sa position. Pour se faire entendre. Mais pour une femme, ça ne devait pas toujours être chose facile. Alors les choses étaient dites, misent en place par cette soudaine obéissance. Stupéfiant et digne du respect.

Il était vrai qu'être une femme était déjà compliqué en soi. Fallait-il rajouter une maladie rare, provoquant dépigmentation, rejet et crainte, en plus de cela, et puissance, folie, décadence ? Virginale, elle l'était, entachée de sang aussi, mais au travers ce port altier, cette démarche sûre, se cachait autre chose : le sacrifice, l'abnégation, le don total de soi-même. Elle se pensait incapable de faire mieux, de faire plus, de faire autre chose, tout juste bonne à se livrer corps et âme à une cause, une personne, aux siens, destinée à se consumer pour quelqu'un ou quelque chose. Elle soupira, satisfaire de ne pas avoir à tuer aujourd'hui, lassée de la guerre et de la violence, aspirant à la paix, ce repos si chimérique, onirique, impossible à atteindre. L'épuisement était un petit animal emprisonné dans sa tête qui griffait les murs de sa prison de serres incassables, creusant des sillons noirs sous ses yeux.

" Bien. "

Elle lâcha la tige qui glissa entre ses doigts, tombant lentement sur le sol, ignorée de tout et de tous. L'herbe, autour de la Dame, reprenait cet aspect glacé, encroûté de givre, brillant de millions de petits diamants, richesse de fées minuscules. Elle leva ses pieds des sentinelles et le reposa, brisant la couche chatoyante, posa son regard sur la cité et sur le soleil, jugeant de l'avancement de la journée, du temps qu'elle pouvait encore lui accordé.

" Je sais que vous êtes le chef de ces chasseurs de prime. Je connais une grande partie de vos membres, aussi. " Elle marqua une pause. Ses doigts montèrent, touchèrent ses lèvres. Elle réfléchissait aux meilleurs termes à employer. Indifférente, elle poudra sa lippe de cobalt. La colombe retomba, lissant distraitement sa tenue.

" Je vous propose la chose suivante : je ne vous annihile pas, mieux, je vous engage à continuer votre commerce, pour peu qu'il ne s'attaque pas aux habitants - sauf truands et autres assassins, il faut bien que vous gagner votre pain. Je suis même prête à vous offrir une prime à chaque fois que l'un de vos contrats vous engagera à tuer un démon. En échange, je veux que vous laissiez mon assistant tranquille. "

Le vent souffla soudain fortement, faisant de ses cheveux aussi lactescent que le lait une oriflamme de guerre plus pure qu'une épée d'acier, aussi meurtrière. Des paillettes de givre s'arrachèrent à l'herbe, montant dans le ciel, valsait quelques instants avec des morceaux de feuilles mortes. La Madone Blanche marqua une nouvelle pause, observant au travers du voile opalescent de sa chevelure la danse du pelage du chacal. Elle percevait son potentiel comme la lueur d'une bougie au milieu d'une nuit enténébrée. Ce serait une perte de le tuer, se dit-elle, et elle regretterai longuement cette perte s'il refusait le marché. Il puait la puissance et la fourberie, l'expérience et la cupidité. La Dame sentait que les grands idéaux n'étaient pas sien, et elle regretta de ne pouvoir convertir un coeur comme le sien, de ne pouvoir le marteler à la forge de la loyauté. Elle ne pourrait que l'acheter, pas l'obtenir, ou seul le temps en serait capable.

Elle posa sur lui un regard triste malgré elle, les yeux brillants, étoilés par ce qu'elle voyait.

" Des heures sombres arrivent, et vous n'imaginez que peu à quelle point elles le seront. Les démons sont un poison. Ils veulent commencer par Elament, car nous sommes la seule muraille entre eux et le monde. S'ils nous prennent, ils se répandront sur la terre, et rien ne subsistera, car telle est leur nature. Ils sont le fruit de la perversion des Dieux. " Elle le regarda, ne sachant pas trop si son éducation lui avait appris ce qu'elle venait de lui dire. Peu de monde savait que les démons n'étaient pas désirés : d'anciens écrits le disaient, mais ils étaient vieux, en mauvais état, et certains n'y croyaient pas. " Je ne suis pas pieuse, Maître Traqueur. Je veux seulement survivre, et ma survie, comme la vôtre, est en contradiction totale avec l'existence des démons. "

Et un long silence s'engagea dans une conversation calme. Lorsque ses mots inaudibles cessèrent, et que le vent pris fin à sa petite danse sur le voile cristallisé qui tapissait une brève parcelle de nature sous les pieds de la femme. Alors, le chacal pris son temps pour confectionner sa réponse. Elle était belle, cette femme. Par moment on voyait sa petite taille et cette peau si délicate et l'envie de protéger cette beauté faisait surface. Mais ce n'étaient que de très courts moments, Dame Ruby dégageait une puissance certaine. Un regard droit et directe, une volonté sans faille. Certainement qu'il y avait un nombre fou de jeunes hommes prêt à se sacrifier pour sa beauté plutôt que pour une cause qu'elle même défendait avec agilité et fureur. Le chacal releva la tête après avoir suivit la décente de la tige. Il inspira profondément humant l'air qui l'entourait. Il savait l'image qu'on avait de lui et oh combien elle était véridique. Oui, il savait mais ça ne le dérangeait pas. Chacun sa route, un chemin tracé. Chacun sa manière de survivre dans ce monde. Il avait prit la route du mensonge et ça ne le rendait pas plus con pour autant. Alors, après cette pose, il voulu prendre la parole mais au lieu de à çase mit à rire. La gueule grande ouverte les yeux plissés jusqu'à n'en plus pouvoir. Il avait voulu répondre mais ce fut un véritable désastre de moquerie qui voulait glisser sur sa langue. Il calma alors cette excitation en finissant par quelques dernier petits gloussement et un raclement de gorge bien prononcé.

" - Votre... assistant ! Hahaha ! M'enfin que lui arrive-t-il à ce gars là ? Si c'est mon petit mot doux qui fait ces ravages j'en suis fort désolé ! Mais il était destiné à tous les membres des T.I. Hahahaha ! Elle est bien bidonnante celle-là !"

La petite à ses pieds vint agripper la chaîne qui pendouillait, puis elle tira de toutes ses forces réclament un peu de distraction. Mais sa demande fit un bide monumental. Di était occupé.

" - Vous n'allez tout de même pas me dire que son caca nerveux pourrait me valoir la mort ? Hahaha !"

Il ne la laissa pas répondre qu'il enchaina sur sa réponse suivante.

" - Je connais un gars..." Le chacal regarda ses griffes et craqua sa mâchoire par habitude et repris. " Je connais un gars qui aime ces vieux journaux. Les démons ne sont pas tous comme on le croit. Ils sont certainement tous passé par cette envie de conquête mais certains se sont assagis."

Il connaissait... c'est un bien grand mot. Dire qu'il en avait entendu parler serrait déjà plus juste. Il repensa à Iblîs, certainement le seul démon qui venait justifier sa phrase. Car en réalité, tous les démons étaient prêts à marcher en direction d'une grande guerre. Mais il aimait fermer les yeux et se dire que de toute manière, celui qui paye le mieux aura ses services. Rien ç foutre du grand méchant et du plus gentil des gentils. Lui tant que ça payait c'était bon à prendre. Peut-être que la seule chose qui pourrait le sortir de cette folie à la vue de l'argent ne pouvait être autre qu'une femme. Mais il ne se disait pas fait pour aimer ni protéger. Le seul être vivant qu'il protégé n'était autre que Khyme. Alors roulez jeunesse ! De toute manière le monde était perdu, toutes ces guerres ne pourront gagner contre mère nature. Alors que les gens s'étripent ça faisait tourner des tas de commerces. Il fallait vendre cette peur pour en vivre grassement et copieusement. Plus le temps d'en avoir honte il ne restait plus qu'à se servir sans aucun remord. Peu importe que ce soit immoral...

Il s'inclina malgré tout. le marcher était correcte, il n'y perdait rien. Comme si ce matin-là, un marchand de cadeau s'était posé devant lui.

" - Je ne refuse pas ce cadeau. Demandez la mise à mort d'un démon en particulier et je vous l'apporte sur un plateau fleurit. Demandez que je vous débusque un espion et ce serra chose faite. Demandez moi l'impossible et je vous le rend possible pour vos poignées d'argent."

Peut-être un jour serra-t-il capable de répondre à une demande sans attendre des pièces en retour. Peut-être qu'un jour il osera faire un acte par amitié ou amour. Mais ce jour n'était pas encore à la page. Alors il n'offrit rien d'autre qu'un léger sourire sur ses babines. Observant ce drapé blanc. Merveille sur un corps si fin et pâle.

Elle aurait pu s'offusquer de son rire, se vexer de cet humour gras et cruel, mais elle avait vécu pire. Elle aurait pu s'en empourpré, et l'aurait probablement fait si son visage était capable de revêtir d'autres couleurs que le blanc et le lactescent, mais La Madone était au dessus de cela, au dessus des enfantillages. Elle posa sur lui des yeux froids, brûlants de flammes sanglantes et se rendit soudain compte qu'ils ne jouaient pas dans la même cour, ne concevaient pas le monde avec la même échelle.

Elle était une joueuse d'échec, et ses pions se comptaient en million, interactions complexes, jeu de génie, dont le moindre faux pas ne signifiait pas la défaite mais la mort. Il était un gamin qui bidouillait sa poignée de poupées, certains de s'en sortir, même in extremis si ces plans foiraient. Elle aurait presque pu avoir pitié de lui, après cette constatation logique. Un jour, était-elle certaine, il se brûlerait les pattes au brasier ardent de sa propre bêtise, de sa gourmandise... Elle hésitai entre le laisser sombrer ou lui mettre une claque pour lui faire ouvrir les yeux sur la réalité du monde.

Ruby fronça les sourcils. Cette victoire, ce pacte, lui laissait un goût amer dans la bouche.

" Le meurtre est devenue une banalité, Di. Sachez le. "

Elle croyait en ce monde, en sa beauté, elle n'espérait pas les changements, mais se savait devoir les opérer elle-même. Les populations entières ne modifiaient pas leurs façons de faire par conscience, mais parce qu'une main douce les avaient fait changer de voie. Ainsi était le monde, et chaque goutte de pluie était un émerveillement nouveau. Le simple fait d'être de vie, de sentir son coeur battre dans la cage de sa poitrine était une récompense, que les gens comme ce traqueur ne pouvait pas comprendre, à moins de vivre pareille expérience.

Elle était morte. Deux fois. Sa vie était un miracle, chaque nouvelle seconde qu'elle vivait était une nouvelle ligne sur le grand livre de sa destinée. Elle était libre des contraintes normales, communes aux autres, seulement prisonnière de ses propres obligations. Et elles les acceptaient, indéfectiblement.

" Mais la vie est précieuse. "

La jeune femme fit un pas en direction de la cité, décollant la plante de son pied de l'herbe glacée. Puis elle se ravisa, avalant sa salive, incertaine. Devait-elle dire autre chose ? Jurer sur son sang ? La trahison était incompatible avec sa nature, son tatouage en faisant foi. Elle baissa le visage, plongée dans ses pensées, dans les méandres obscures d'un monde changeant, pavé d'arcades ténébreuses.

" Je n'espère pas vous faire changer d'avis sur votre façon de voir le monde, bien qu'elle soit erronée. Je n'estime pas non plus avoir raison, d'ailleurs, mais... vous êtes lâche, Maître Traqueur. " Elle eut l'audace de relever le visage à ce moment là, de clouer son regard dans le sien, d'un vairon étrange crème et lait, soleil et lune, de le défier de répliquer. " Vous vous cachez derrière des défauts que vous n'avez pas pour ne pas exposer votre faiblesse principale, qui n'est qu'une qualité supplémentaire. Ce ... bouclier d'indifférence cupide ... je le briserai. "

Elle fit un pas de plus, et se rendit au néant, déliquescente, nuée de flocons virevoltant lentement vers la cité...

Spoiler:

Je le briserais… je le briserais… je le briserais…

Et ça raisonna longtemps. Comme une cloche raisonne dans une ruelle. Ce mot d’une consonance si délicate. Un mot simple, beau et droit. Je le briserais… je le briserais… je le briserais…

Elle était déjà plus loin qu’il était dans cette résonance encore et encore. Il l’aimait bien, elle avait du caractère. Ce mot sonnait bien entre ses lèvres. Ses yeux ne trahissaient aucunes pensées. Elle était vraie. Elle était directe. Elle avait ce quelque chose qu’on ne peut qu’aimer chez une femme.

Je le briserais… je le briserais…

Alors il la recroisera. Ce n’était qu’une promesse de revoyure. Il en était finalement ravi. Peut importe ce qu’elle pensait de lui. De toute manière elle avait raison. Mais rien que pour revoir ce visage, il oserait s’attaquer à son assistant. Oui, chacal et fier de l’être il était capable de tout. La mort il l’avait connu. Plus douce et plus rapide, long sommeil qu’il croisa en compagnie de Senector. Mais il n’en ferra jamais allusion. Car Di n’arrivait pas à la cheville de cette grande Dame.

Je le briserais…

Il lança sa pièce une fois encore. Et alors, entre ses babines, il ajouta quelques mots dans un petit chuchotement. Le vent en serra sûrement le seul témoin.

" - Alors on se reverra… ma pièce ne me ment jamais… "

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